Freud s’intéresse d’emblée aux affaires de famille. Il construit l’Œdipe pour saisir les courants tendres et agressifs qui agitent le sujet à l’égard du père et de la mère. Tenant compte des remarques sur son élaboration, il n’a de cesse d’interroger, d’actualiser sa construction. À sa suite, Lacan accorde une grande importance à ce que le sujet dit de son rapport à ses autres familiaux, familiers. L’apparente et prétendue simplicité de l’Œdipe révèle sa profonde complexité en se nouant aux questions de structure et de manque, de l’effet notamment engendré par la découverte du manque de et dans l’Autre.
Par l’introduction des registres imaginaire, symbolique et réel, Lacan rend compte du singulier kaléidoscope familial. Se dévoile alors l’élévation du père et de la mère au rang de fonction, dont le sujet peut avoir un certain usage. Dès lors, la famille va plus loin que ses seuls personnages et se trouve mobilisée, au titre de signifiants et de désir, dans le rapport d’un sujet au langage, non sans malentendu. Lacan ne dit-il pas que le « malentendu est déjà d’avant. Pour autant que dès avant ce beau legs, vous faites partie, ou plutôt vous faites part du bafouillage de vos ascendants1 » ?
Comment le sujet répond-il de ce malentendu qui le précède et néanmoins impacte son corps2 ? Le symptôme est une de ses réponses, Lacan soulignant que celui de l’enfant peut ou « représenter la vérité du couple familial » ou « ressorti[r] à la subjectivité de la mère »3.
À propos du petit Hans, Lacan relève les réponses, mythes, fantasmes de l’enfant qui cherche à composer avec les « carences de son entourage symbolique4». Il parle même de « l’imaginification5» d’un élément réel, la survenue de sa petite sœur. Il laisse ainsi entendre combien le sujet est nécessairement conduit à fantasmer la famille. Dès lors, celle-ci oscille entre fonction symbolique, idéal, déception et effraction. Il y a là de quoi faire le lit du singulier roman qu’un sujet tisse et défait tout à la fois en analyse.
Les textes réunis dans ce numéro d’Ironik ! explorent ces différentes pistes pour faire valoir la singularité de la question pour la psychanalyse. Ajoutons que cette interrogation portée sur le rapport du sujet à sa famille résonne avec le thème du prochain congrès Pipol, « Malaise dans la famille », qui souligne la prise sur la « subjectivité de son époque6» de l’orientation lacanienne. Ce congrès de l’EuroFédération de psychanalyse aura lieu les 12-13 juillet 2025 à Bruxelles.
Romain Aubé
1. Lacan J., Le Séminaire, Dissolution, in Aux confins du Séminaire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Navarin, 2021, p. 75.
2. Cf. Mothiron S., « L’enfant, objet du malentendu », Accès à la psychanalyse, n°17, à paraître en 2025.
3. Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373.
4. Lacan J., « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 519.
5. Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La Relation d’objet, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 369.
6. Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », Écrits, op. cit., p. 321.
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